Le baroud des cocus

Toutes les guerres sont un scandale. Je ne vous parlerai que de celle du Donbass sans prétendre l’avoir comprise. Pourtant si je ne parlais pas le russe et si je ne m’y étais pas rendu une quinzaine de fois en vingt ans, je ne reconnaitrais pas ces germes du conflit qui s’imposent chez moi comme une évidence.

Ces gardes (des Séparatistes) qui m’ont sorti du bus au poste-frontière hier après m’avoir repéré en train de filmer à travers la vitre, des types comme ceux-là j’en ai rencontré des dizaines.

Je vois sur leurs visages les effets de l’alcool, dans chaque bouche la modestie sociale, sur leurs mains un dur labeur ponctué de séjours en prison et, à la façon de porter la mitrailleuse en bandoulière, l’identification adolescente à quelques figures crétines hollywoodiennes.

Compte tenu de l’heure à laquelle nous fîmes connaissance et de ce que je suppose l’alcool être prohibé pendant le service, je ne me suis pas inquiété un instant sur mon sort.

Après quelques politesses protocolaires (visionnage des cartes mémoires et visite de mes effets personnels) nous en vînmes assez vite à blaguer, comme à chaque fois.

Ou il s’avère que, contre toute attente, la francophilie est bien ancrée ici, ou plutôt elle résiste à l’effet nocif de la médisance de nos médias et de l’Atlantisme décérébré de nos élites.

Donc il m’a été proposé, je ne sais plus dans quel ordre, une soupe, un joint et un café.

Je leur ai répondu que je voulais passer la nuit avec eux. C’était sincère et ils l’ont bien pris.

 

L’Ukraine et l’ensemble de l’Union Soviétique ont payé de la vie de plus de 20 Millions d’âmes innocentes la victoire contre le Nazisme.

Pendant que les Ricains fanfaronnent tous les ans sur les plages de Normandie, du mauvais côté du monde on lèche ses plaies sans bruit.

Ici les gens ont l’impression que l’Afrique est mieux traitée par l’UE que leur espace. C’est faux! L’Afrique est maltraitée, exploitée mais l’espace ex-soviétique est ignoré ou moqué.

Comme le racisme se construit, la haine du voisin germe avec la frustration, le sentiment d’être des moins que rien ; tout vous échappe : des proches, votre premier amour de lycée, les cerveaux, vos champions, tous émigrent. Et vous restez là, « cocu du monde ».

Laissez pourrir le tout pendant 25 ans, laissez destituer dans l’euphorie occidentale un président élu selon les us démocratiques, enfin dégradez une langue qui accoucha de quelques-uns des chefs-œuvres de la littérature et vous venez de fabriquer l’enragé qui, la Kalachnikov au poing, prendra une région en otage pour se refaire un verni.

L’Ukrainien ne vaut pas mieux mais il a signé allégeance au souverain qui, à crédit, le sortira au plus vite de ce pétrin.

 

© 2015, Éric Vazzoler – ARGUMENTS.photo

 

À l’heure à laquelle je publie cet article, la ville de Donetsk dans sa périphérie subit des bombardements incessants. 

À Minsk pendant ce temps, le champagne est servi.

 

PS . Vous n’êtes pas obligés de me croire